Par Maître Youssef ABDELQAOUI
Nul ne peut nier que l’exploration du passé nous aide à entrevoir d’où nous venons… et où nous allons, elle nous fait mieux connaître le beau métier que nous exerçons et auquel nous avons le bonheur et la fierté d’appartenir, et surtout nous prépare à bâtir ensemble l’avenir de notre profession. De génération en génération, les avocats qui nous ont précédés se sont efforcés d’améliorer les conditions d’exercice de la profession pour laisser aux générations futures une profession plus forte, plus indépendante, et plus épanouissante, nous leur sommes reconnaissant du sort relativement confortable dont nous jouissant de nous jours. On n’a pas l’intention dans cet article d’inviter l’histoire de la profession d’avocat pour pleurer son présent, mais comme disait d’ailleurs l’historien Marc Bloch (1886-1944) “L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent, elle compromet, dans le présent, l’action même”, cela est assurément vrai, dans la mesure où connaitre l’histoire nous permet de nous imprégner des principes et des enseignements de nos prédécesseurs, voire même d’éviter leurs erreurs, afin de faire fructifier leur héritage et le léguer, à notre tour, aux générations à venir. La profession d’avocat au Maroc a à la fois une histoire riche et complexe qui remonte à un siècle.
Cependant, l’avènement de la profession moderne d’avocat au Maroc est beaucoup plus lié à la période du protectorat français (1912-1956) et espagnol (1912-1956) où le système judiciaire marocain a été influencé par le système juridique européen. Avant cette période, le Maroc avait ses propres traditions juridiques archaïques, notamment la coutume tribale et la loi islamique.
Et avec l’arrivée des puissances coloniales européennes, de nouvelles institutions juridiques ont été introduites, y compris la profession d’avocat telle qu’elle est connue dans les systèmes juridiques occidentaux.
Au début le souci était celui de recadrer le système judiciaire Marocain, et de ce fait, le régime relatif à l’exercice de la profession d’avocat initialement basé sur le Dahir du 12 août 1913 relatif au droit des contrats et obligations.
C’était grâce à la persévérance des avocats, à leur dévouement à la profession et à leur implication dans ce domaine que le colonisateur a été contraint d’adopter la loi de 1924 l’année où le Maroc a instauré un système judiciaire dans sa forme actuelle, et ce après la promulgation du Dahir du 10 janvier 1924, qui a permis de réglementer pour la première fois l’exercice de la profession d’avocat. Le premier Barreau des avocats au Maroc a vu le jour à Rabat en 1926, dont Maître Caston Jobard était bâtonnier. Après l’indépendance du Maroc en 1956, la profession d’avocat a continué à se développer et à s’organiser davantage.
La première structure professionnelle a dimension nationale des avocats au Maroc indépendant a été créée en 1962 en vertu du dahir de 1958 relatif à la réglementation des associations, c’était : “l’Association des Barreaux des avocats du Maroc” par abréviation “ABAM”, et avait pour slogan “Une lutte continue pour le droit, la liberté et la justice”, et comme objectif d’assurer la coordination entre les différents barreaux du royaume de réglementer la profession et de protéger les intérêts des avocats. Dès lors, la profession d’avocat au Maroc a connu une croissance significative, avec un nombre croissant d’avocats et une diversification des domaines de leur intervention.
L’implication et l’engagement du corps des avocats marocains dans la défense des droits humains et des justes causes, était toujours présent. A titre de rappel le drame des séquestrés des camps de la honte à Tindouf, que l’association “ABAM” avait dénoncé auprès des instances internationales. L’association est allée même jusqu’à interpeller le secrétaire général des Nations Unies sur cette question et n’a pas manqué de dénoncer avec rigueur cette situation inadmissible sur toutes les tribunes.
Aussi l’engagement de haute moralité auquel les avocats sont restés attachés, non seulement dans le domaine judiciaire, mais aussi sur tous les fronts de lutte pour la préservation de la dignité humaine et pour le rétablissement des droits. Les avocats sont, en effet, des membres de la grande et honorable famille de la justice et partenaires privilégiés dans l’accomplissement de la mission dont ils sont investis, collectivement, dans plusieurs étapes de l’histoire de la justice au Maroc ils ont aussi contribué au service des causes de la société et de la nation, que ce soit dans le renforcement de l’esprit patriotique ou la revendication de l’indépendance du Maroc.
Après l’indépendance ils ont contribué à la consolidation du processus démocratique et à défendre les droits de l’Homme et les libertés, à la dynamique législative, à travers des recommandations et propositions portant sur une série de textes juridiques relatifs aux garanties d’un procès équitable et des droits et libertés, en coordination étroite avec les différents intervenants dans le domaine de la justice. Individuellement les avocats apparaissaient en effet comme des acteurs majeurs de la vie publique : ils étaient fortement présents dans les différentes institutions de l’Etat, au gouvernement, au parlement, les collectivités locales, et autres institutions et organismes de bonne gouvernance, ils ont contribué à enrichir et à faire réussir ces institutions, en se basant sur leurs expériences, formation juridique et savoir-faire.
Avec la loi de 1993, et celle de 2008, une nouvelle profession d’avocat a vu le jour, plus d’institutions similaires fragiles, L’exercice dans le cadre d’une société civile professionnelle est rendu possible, un statut de collaborateur voit le jour, des centres de formation professionnelle sont prévus par la loi.
Aujourd’hui, les avocats au Maroc jouent un rôle crucial dans le système judiciaire en représentant les clients devant les tribunaux, en fournissant des conseils et consultations juridiques et en défendant les libertés et droits et intérêts de leurs clients.
La profession continue d’évoluer pour répondre aux besoins changeants de la société marocaine et pour s’adapter aux développements juridiques nationaux et internationaux.
Actuellement la profession vit tristement un réel basculement de l’apogée vers la décadence, ces dernières années, l’association des barreaux du Maroc se voit tellement divisée et déchirée, au point qu’elle n’arrive même pas à tenir normalement ses congres et à refléter la conscience collective des avocats et leur aspirations, on est incontestablement dans une période considérée la plus sombre de l’histoire de la profession, surtout depuis le boycott du barreau de Casablanca qui revendique légitimement une représentativité qui prend en considération sa valeur morale et numérique au sein de la profession au Maroc.
Cette situation, invite les avocats, plus que jamais, à appréhender l’impératif d’interaction et d’adaptation des pratiques professionnelles aux changements décisifs qui en découlent. En effet, la globalisation du métier d’avocat exige une plus grande harmonisation des référentiels d’une conduite vertueuse, l’adoption du principe de formation continue, et l’adaptation aux exigences du monde numérique. En tant que profession intellectuelle, elle est également confrontée à la révolution numérique, aux risques imposés par l’intelligence artificielle, les possibilités de fournir des prestations à distance.
L’un des autres défis majeurs devant être relevé consiste à travailler sur une nouvelle image qui doit être véhiculer, nouvelle image positive et citoyenne, à travers une nouvelle communication réfléchie, permettant d’effacer cette vielle image troublée sur les avocats incarnée dans l’esprit du grand public.